Qu’est-ce qu’une bonne traduction ?

traduire, c'est transmettre une idée

II s’agit, à ce point, de préciser la notion de fidélité. En effet, on peut se poser la question : mais fidélité à quoi ? Si le message du texte est simple et clair, s’il est univoque, ce qui peut se rencontrer en traduction scientifique ou technique, la notion de fidélité est plus aisée à cerner. En fait, le texte est souvent complexe, polysémique, renfermant non pas le sens, mais des sens, comme c’est le cas pour la poésie, un des genres littéraires les plus difficiles, sinon le plus difficile à rendre en traduction ; on ne peut plus alors parler de la fidélité, mais des fidélités. Autre exemple : la traduction doit rester délibérément dans le vague si l’original est volontairement flou et ambigu, pour des raisons politiques, diplomatiques ou autres. Fidélité à l’imprécis…

Parmi les traducteurs qui ont réfléchi sur cette notion, je voudrais évoquer Edmond Cary, qui a, avec beaucoup de clarté, distingué divers niveaux de fidélité :

… la fidélité purement sémantique peut présenter des exigences contradictoires selon qu’on s’attache à la fidélité au sens des mots ou au sens des phrases. Plus loin encore, on n’oubliera pas la fidélité aux sens seconds, aux sens cachés, aux allusions, qui contiennent souvent l’essentiel du texte. La qualité d’une traduction dépendra souvent du choix qu’on aura fait entre ces fidélités opposées. Et ce choix, lui aussi, est en grande partie déterminé par le siècle du traducteur, par son public. C’est une sorte de synthèse des diverses fidélités au sens qui donne accès à la fidélité à la pensée de l’auteur10.

Il faut traduire l’idée, plutôt que les mots, disions-nous avec Pierre Daviault. C’est à la pensée de l’auteur, à l’idée du texte, qu’il faut être fidèle. Une fidélité totale à tout le texte, a dit Georges Mounin. Mais cette fidélité totale est-elle possible ? Rien n’est moins sûr, car la fidélité s’applique autant au contexte linguistique du texte, qu’à la situation globale, dans le temps et l’espace, dans une société donnée. Être fidèle n’a pas le même sens selon les lieux, les temps, les milieux. Aussi le traducteur, s’il doit fidélité à l’auteur, a le même devoir envers le lecteur, le public, le destinataire. Il lui faut être compris le mieux possible et tenir compte des capacités, des connaissances, des goûts de son lecteur. Il y a donc, inhérent à la fidélité, un élément irréductible de relativité. La fidélité n’est pas un en soi figé. Elle « dépend de ». Pas de fidélité totale ou absolue. De même, pas de perfection absolue de la traduction. Mais, avec Cary, nous pouvons dire :

Fidélité, exactitude, équivalence […], voilà sans aucun doute, un des éléments fondamentaux de la qualité, élément qui se prête déjà à un élargissement pour ainsi dire illimité[1]. Ainsi, et notre expérience quotidienne ne nous le dit que trop, il n’est point de traduction parfaite. J’ajoute qu’il serait chimérique de chercher la bonne traduction ; en revanche, il y a des traductions possibles. Il n’y a pas une bonne, mais plusieurs bonnes traductions, dont l’une peut être meilleure que l’autre ou les autres, tout en étant elle-même perfectible. Dans le domaine littéraire, on pourrait préciser : la bonne traduction ? Non, mais une traduction qui satisfait un certain public, et qui n’offre pas forcément toute garantie de fidélité sémantique. Elle l’est du moins à son lecteur, qui a certaines exigences et des goûts propres. La qualité est reliée à l’effet recherché.

Pour ce qui est de la traduction technique, je me suis contenté de quelques allusions. Le traducteur technique doit, comme tout traducteur, bien connaître les deux langues, surtout celle d’arrivée et posséder une solide culture. En outre, il lui faut être très au courant de la technique à laquelle se rapporte le texte qu’il doit traduire : connaissances scientifiques générales poussées, et connaissances précises dans la spécialité. Il doit disposer de la documentation voulue et avoir le temps de chercher la terminologie propre. On a pu donner, en ce domaine, les critères de qualité suivants : « La qualité d’une traduction technique se définit [donc] par l’équivalence complète entre le texte original et le texte traduit[2]. » Équivalence qu’il est plus difficile d’atteindre dans le cas d’un texte de départ plus générai, plus composé ou plus littéraire.

En mentionnant la nécessité de disposer du temps suffisant pour se documenter, je pense qu’il est bon de rappeler l’importance des conditions de travail et de rémunération du traducteur, conditions qui influent directement sur la qualité de la traduction.

On ne demande pas au traducteur d’entreprise ou du secteur public, pas plus qu’au traducteur à son compte, de faire un chef-d’œuvre à tout coup. Étant donné le peu de temps dont il lui faut souvent se contenter pour se documenter et traduire, il doit, le moins mal possible, produire une traduction au moins de qualité moyenne, ce qui suppose que tout le sens du texte de départ a été compris et se trouve transposé dans le texte d’arrivée. Donc ni faux sens, ni contresens, ni glissement ; tout le sens, rien que le sens. La langue d’arrivée doit toujours être syntaxiquement et grammaticalement correcte, idiomatique, et le vocabulaire juste et précis, sans impropriété. II faut respecter les niveaux de langue, tenir compte de la destination du texte. D’autre part, un traducteur doit, si possible, travailler en équipe et consulter plus que les dictionnaires et les fichiers : les collègues. Une traduction doit toujours être revue par son traducteur et révisée par un autre traducteur d’expérience. S’il y a urgence, et faute de mieux, il faudra se contenter de faire relire sa traduction par un autre.

Je m’écarte ici de mon sujet, car j’énonce des conditions de travail favorables à une bonne traduction. Ces conditions, on le sait, sont essentielles, tout comme, d’ailleurs, certaines qualités morales, comme l’honnêteté intellectuelle et la modestie.

Pour conclure, je cite tout d’abord un excellent résumé de ce qui devrait permettre la « bonne traduction » et qu’a donné, voici près de vingt ans, Donald Buchanan :

À mon avis, toute bonne traduction doit répondre à quatre conditions :

  • rendre fidèlement le sens du texte
  • conserver le style et le ton de l’original
  • ne comprendre aucune construction grammaticale incorrecte
  • et surtout, s’exprimer dans une langue qui ne laisse jamais soupçonner en aucune manière le fait que c’est une traduction].

Fidélité à la pensée de l’auteur, aisance d’une composition originale et « équivalence de l’effet » sur le lecteur, voilà donc des éléments que, unanimement, on considère comme essentiels à une bonne traduction. La traduction parfaite, définitive n’existant pas, nous pouvons pousser un soupir, de soulagement pour les moins sûrs d’entre nous, d’ardeur et de désir de s’approcher de l’idéal, pour les meilleurs. Mais ici, l’idéal même est relatif, et la traduction, comme toute œuvre humaine, gardera son caractère de finitude et d’inachèvement. Ne perdons rien de notre exigence de qualité, mais ayons en même temps, toujours en réserve, une once d’indulgence et de compréhension pour nos collègues traducteurs débutants ; ce disant, je m’adresse en particulier aux réviseurs, qui ont la tâche ingrate de devoir trancher, trop souvent à la hâte, le bon et le moins bon.

Jacques Flamand


[1]               Ibid., p. 43.

[2]              Communication présentée par la Société française des traducteurs » dans la Qualité en matière de traduction, Bad Godesberg, op. cil, pp. 323-335, p. 323.

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